Diathèse ou Synthèse? Penser Autrement la Question du Langage de L'autre Jacques-Bernard Roumanes
|
Où en sommes-nous, trois siècles et demi après le coup d'envoi cartésien, de ce rapport à l'autre, au langage de l'autre? Tout ce que nous savons taire, dire ou hurler sur cette question, c'est que la liberté des autres s'arrête partout où commence la nôtre. S'arrête. Justement là où elle devrait continuer. Là où elle devrait s'épanouir. Car bien au-delà de la liberté qui n'en est jamais que son garde-fou, rien de plus, commence ce qui nous guide les uns vers les autres. Commence la démocratie. Commence le partage, aussi bien des pouvoirs que des savoirs. Cette idée hérétique à Jérusalem. Cette idée anarchiste à Athènes. Cette idée qui perce à nouveau dans le cogito cartésien, explose avec les grandes révolutions romantiques et finit par constituer l'idéal même de notre Modernité. Qui a tort? Qui a raison? Qui décidera? . . . Une chose est certaine, toutes les sociétés autoritaires fortement hiérarchisées ont rompu des lances et tenté d'anéantir toute vision se fondant sur un anthropocentrisme trop radical. Sauf la démocratie. L'idée d'un gouvernement des personnes par elles-mêmes a beau être là, dans la pensée, elle n'a jamais pris forme nulle part, dans la réalité. Sans doute faute d'un dégagement sérieux de ce que constituerait un cogito collectif, et des avantages humains que cela représenterait. Pour tous. Au détriment d'une seule chose: la volonté de pouvoir de quelques-uns. Arrivera-t-il un jour, cet avènement de la démocratie? Peut-être . . . Mais je crois que cela ne deviendra réalisable que si, préalablement, nous apprenons à penser autrement. Car je doute fort que dans cette voie de la dominance où nous stagnons depuis des millénaires, nous ne parvenions jamais à devenir significativement ne serait-ce qu'humain . . . Toutefois on peut penser autrement. En diathèse. Penser en diathèse? Qu'est-ce que cela veut dire diathèse? J'y viens. Depuis un peu plus d'une vingtaine d'années, l'on commence à prendre au sérieux l'idée non pas d'un dépassement de la logique de l'identité (celle-ci demeure la pierre angulaire de la construction et de la déconstruction de tous nos savoirs; chacun peut l'admettre sans procès), mais celle du dégagement d'une figure parallèle, la figure de l'altérité. Par altérité, il faut comprendre alors aussi bien l'autre de l'identité logique, l'autre de la raison ou du sentiment intérieur, que l'autre de l'existence; la femme pour l'homme, le noir pour le blanc, l'étranger pour le natif, l'enfant pour l'adulte, etc. Mais, et c'est là la nouveauté, la différence, on cherche à définir ici une altérité qui ne soit ni un retour au Même, ni une évasion dans l'irrationnel, la déraison ou la folie romanesque. Surgissent en même temps le relativisme et le relationiste. La relativisation de la vérité absolue. Et vole en éclat le masque de l'absoluïté d'une pensée dialectique jusque-là identifiée à la raison universelle; à la vérité indiscutable des experts, à l'unité du jugement comme à l'autorité de l'ordre en place qu'on voudra. Derrière ce masque éclaté de l'identité mimétique de l'individu abstrait apparaît enfin l'innombrable visage de la personne humaine. Chacun, chacune d'entre nous. Fin de la Vérité? Fin de l'Histoire? Fin de l'Homme? Non. Fin de la majuscule. Fin des masques. Fin de la mascarade de la volonté de puissance qui, jusqu'à Descartes, masquait absolument à la conscience le visage de sa propre autorité. Au nom de quelques mythes dérisoires, quelques idéaux simplistes, quelques mots d'ordre totalitaires. Masquait, masque encore la relation vivante des personnes, l'intensité créatrice des acteurs sociaux et la signification fondamentale de leurs actions personnelles mises en commun, au jour le jour, au coude à coude. Masquait, masque toujours la capacité des personnes aussi bien à fonder leurs connaissances qu'à faire société entre elles. La personne, au fond, c'est l'individu abstrait plus un corps physique, c'est-à-dire plus une conscience-connaissance propre, plus une sensibilité irremplaçable parce que mortelle, plus une liberté, plus une créativité. C'est pourquoi je ne pense pas m'avancer beaucoup en pariant que c'est cette notion de personne qui va se substituer en droit et en fait, à celle d'individu comme nouvel emblème des relations humaines à venir. Mais dès que l'on pose la personne ainsi conçue, au fondement aussi bien de la connaissance que des relations humaines, c'est-à-dire au fondement de la société, une difficulté surgit. Une difficulté et même une inquiétude qui ne se laisse pas contourner. En effet, si l'on prend au sérieux cette idée de Descartes que l'esprit de chacun est au fondement de la connaissance par l'intermédiaire de sa conscience, il découle de là deux impasses: la pensée commune est-elle la même pensée, mais alors comment penser autrement s'il n'y a qu'une pensée? C'est l'impasse de la logique de l'identité. Par ailleurs, comment penser ensemble s'il y a deux, trois, mille pensées différentes sans dénominateur commun? C'est l'impasse des logiques de la différence, qui ne sont en fait que de simples renversements de la logique de l'identité; fondées sur elle donc. Effets de miroir donc. Deux impasses. Ou bien la raison est identique, la conscience-connaissance est la même pour tous. Et la révélation sociale de cette objectivité insignifiante signe bel et bien cette fin de l'Histoire, cette mort de l'Homme que nous ne serons jamais, et pour cause. Puisqu'elle signe notre aliénation, notre mort subjective, la fin de notre histoire personnelle. Ou bien la raison est subjective mais alors nous perdons notre dénominateur commun. Et soit nous entrons dans l'incohérence externe (l'expression est de Lachelier) de n'être que des relations d'êtres en relation, soit nous entrons dans l'incohérence de la folie interne (toujours selon Lachelier) d'être des êtres enfermés en nous-mêmes. En fait le problème, si problème il y a, ne se pose ainsi que du point de vue de la logique de l'identité qui n'avance que par contradiction. Et ne sait conclure qu'à l'absolu. En ramenant dialectiquement toutes les propositions à se subordonner à une seule, la dernière, la synthèse. Celle-ci étant définie à la fois comme vérité et comme unité de la raison. Ainsi, l'unité de mesure de la raison revient-elle infailliblement à cette synthèse. Alors reposons le problème autrement, reposons- le du point de vue d'une logique autre. D'un point de vue où puisse se maintenir la double affirmation et de la subjectivité et de l'objectivité, ou encore, de l'identité et de l'altérité. Point de vue qui aboutit non à une synthèse, mais à ce que j'appelle une diathèse. Ce qui envoie à une nouvelle organisation conceptuelle et réelle des termes en relation. Le terme diathèse lui-même demande un éclaircissement. Je précise tout d'abord que ce n'est pas un néologisme. On le trouve déjà chez Aristote, bien que d'une manière encore non thématisée (Ethique à Nicomaque). Diogène Laërce, lui-aussi l'emploie dans ses Vies des Philosophes, où il paraît indiquer un relativisme sceptique. À savoir l'impossibilité de saisir la totalité des discours d'une époque au sein de laquelle évolue nécessairement chaque système, quand bien même ce système prétend être supérieur et tente de dominer tous les autres. Autrement dit, quand bien même un système s'érige lui-même en Vérité des Vérités. Ce qui m'intéresse, dans ce relativisme sceptique (qui n'a jamais été approfondi), c'est la possibilité de montrer, logiquement, que les formalismes étant historiques ils doivent être inlassablement dégagés de l'absolu. Mon but étant de montrer et de démontrer que le langage ordinaire, le dialogue, je veux dire le langage qui contient un savoir partageable (un dialogue) constitue déjà en lui-même l'antidote. C'est-à-dire un instrument d'échange efficace tout à fait adapté à la critique (dia) du fondement (logos) de tous les systèmes d'analyse, lorsqu'ils en viennent à être faussés par des volontés de synthèses finales. "Solutions finales," qui n'aboutissent chaque fois qu'à formuler des Vérités des Vérités. Des Savoirs Absolus. C'est-à-dire des langages impartageables. Impartageables parce que propriétés des experts; impartageables parce qu'indiscutables. Langages que l'on a beau dénoncer comme relatifs et comme provisoires, paradigme après paradigme, mais qui pourtant se reforment et se reprojettent inlassablement à l'absolu. Comme s'il s'agissait d'un destin! Pourquoi? Eh bien parce que, selon moi, c'est précisément le fait d'identifier synthèse et vérité, à l'absolu (à l'opposé du dialogue ordinaire, du savoir partageable), qui fonde le discours d'exclusion qui va justifier la subordination. Et qui, du fait même, entretient l'esprit de dominance et sa logique aliénante jusqu'au coeur de la dialectique. C'est-à-dire au coeur même de la logique de l'identité. On le voit très bien fausser la pensée, ce discours de l'exclusion justifié par un absolu quelconque tout au long de l'histoire de la pensée, d'abord dans la formule de Parménide, puis dans celle de Socrate, et enfin dans le cogito lui-même. Mais c'est un artifice. On peut s'en défaire. Il suffit d'en prendre conscience. Mon but est donc ici de montrer clairement que lorsqu'on accepte de regarder les choses ensemble coude à coude au quotidien, en diathèse, le langage parle. Tous nos langages parlent. Le langage au plus simple, au plus élémentaire, permet déjà de dire tout ce qu'il y a à dire. Exprime déjà tout ce qu'il y a à exprimer; pour nous seuls dans notre soliloque intérieur, comme pour les autres lorsque nous dialoguons entre nous. À y regarder de près, nos problèmes ne viennent pas du langage, ni en nous ni entre nous. Encore une fois, je parle du langage ordinaire, lequel dans ma pensée comprend tous les modes possibles de langages, d'échange et de création. Je ne parle pas des jargons d'experts, qui d'ailleurs ne sont pas de vrais langages mais plutôt des stratégies de subordination du langage et de monopolisation de ses règles d'échange au profit de ceux qui les utilisent pour se hausser eux et leurs jargons, eux et leurs partis, au-dessus des autres. Qui ont bien tort de les croire d'ailleurs . . . mais qui pensent avoir intérêt à les croire. Nos problèmes naissent et renaissent là; dans ce qu'il faut avoir le courage d'appeler: notre complicité. Dans cette part trop belle que nous concédons en nous à ce jargon des experts et à leur volonté de pensée, de pouvoir, de savoir, ou de marché unique, qui ne veut jamais s'exprimer autrement que dans un langage unique. Absolu. Contre nous. Jamais en raisons partagées rendues accessibles à tous; vraiment universelles parce qu'exprimées dialogalement et volontairement dans un langage suffisamment clair pour toucher ici ou là l'entendement de chacun selon son mode d'écoute et son degré d'acceptation, de sensibilité, d'éducation ou encore d'intérêt personnel. On l'aura compris, je ne remets pas en question ici ni le langage spécialisé de chaque science, ni même la compétence des experts mais ceci: l'esprit de dominance des experts. Or si l'on renverse cette perspective de la dominance, immédiatement le langage unique redevient un sous-ensemble du langage commun partagé de tous, de la même façon que la raison transcendantale redevient un sous-ensemble de la raison partagée. De même pour le sujet transcendantal, la dialectique ou le dialogue transcendantal par rapport aux personnes humaines et à leurs dialogues habituels. En diathèse, l'exclusivisme tombe. Chaque sous-ensemble joue son jeu dans l'ensemble au lieu de monopoliser le jeu. Ici l'on apprend le monologue du poète, là la dialectique du philosophe ou bien sa version contemporaine, la dialogique trancendantale de la communauté scientifique, mais partout l'on entend l'innombrable dialogue ordinaire et extraordinaire du sens commun. Chaque voie, chaque voix, venant faire contrepoint, contrepoids aux autres. Ainsi, à l'opposé de la fermeture qui veut privilégier un langage, une règle, un joueur ou un groupe de joueurs en les instituant: langage des langages, règle des règles, joueur des joueurs ou groupe au-dessus de tous les joueurs, c'est-à-dire Vérité, Savoir Absolu, Monarque ou aristocratie d'experts, caste, clan, tribu ou nation élue au-dessus des autres nations, à l'opposé de cette fermeture et de ses conséquences mortifères s'ouvre alors un avenir de partage du sens, partage des connaissances et partage du monde qui nous est commun. Un avenir de partage -de gré ou de force-en diathèse. Ou bien, à plus ou moins long terme, plus d'avenir du tout. À nous de choisir. De commencer à choisir tout de suite pour nous-mêmes et pour nos neveux la fin ou la suite du monde qui nous concerne. À nous de choisir entre les raisons de nous aliéner tous à l'un, à l'une d'entre nous, ou de nous gouverner tous ensemble sans exclusion ni de l'un ni des autres. À nous de choisir entre une volonté de synthèse absolue avec sa solution finale, ou de préférer une diathèse interminable avec sa démocratie interminable. Synthèse ou diathèse, il faut choisir. Peu de chose en somme . . . Tout. Le concept de diathèse, si j'arrive à le faire valoir significativement, devrait donc permettre de renverser chaque fois et d'élargir systématiquement cette manière d'identité logique, trop logique, de penser les êtres et les choses dans l'oubli des autres et du monde. Je dirais que pour cela je m'appuie sur l'évidence, bien sûr, mais parce qu'il s'agit d'un fait humain vérifiable, que toute connaissance procède non d'un cogito universel ou transcendantal hypothétique, mais beaucoup plus simplement d'un cadre éducatif humain, parfaitement identifiable en termes de langue, de société et de situation dans l'Histoire. Dans l'histoire collective d'un groupe humain. Dans l'histoire personnelle d'un être singulier. En raccourci: la vérité est le fruit d'un cogito collectif; c'est l'évidence et c'est l'Histoire. Et les sceptiques, que Descartes pensait devoir confondre, travaillent eux aussi historiquement, à l'élaboration de la vérité. Nous y travaillons tous. En diathèse donc. Et c'est cela le véritable jeu de la critique, le jeu de la vérité. Le travail d'une épistémologie commune sans cesse reprise et sans cesse poursuivie de penseur en penseur, d'une génération à l'autre. Car si la vérité est bien le fruit d'un travail collectif étalé dans la succession des générations, c'est donc que le fondement de cette vérité, enfin reconnue anthropologique et non pas absolue, ne peut être que le penseur lui-même. Chacun, chacune d'entre nous. Comme le réclame le cogito cartésien; sauf que ce n'est pas là un cogito transcendantal, celui d'une abstraction universelle mimétique, l'individu, le "sujet," mais au contraire un cogito personnel. Cogito chaque fois singulier, unique, imprévu, constituant l'irremplaçable maillon personnel! Ainsi, le fondement de la connaissance et par suite de toute vérité dans les divers ordres de connaissances rationnelles, logiques, historiques, humaines, etc., a beau être et ne pouvoir qu'être issu du cogito personnel de chacun chacune d'entre nous, ce fondement personnel ne peut prendre force et forme de vérité que dans le langage et les raisons partagées d'un cogito collectif. Non en synthèse, non à l'absolu donc, mais en diathèse, entre nous. L'au-delà ou l'en-deça de cette forme de vérité issue d'une diathèse ne concerne pas le cadre de cette démonstration. Un minimum de modestie nous y oblige. Quand bien même un excès d'orgueil, ou de naïveté peut-être, nous pousserait à prétendre le contraire. Mais ce serait, encore une fois, à l'absolu. Et c'est pourquoi je crois possible d'affirmer que tous nos discours à prétention d'exactitude, toutes nos vérités scientifiques ou philosophiques ou autres prétendues plus ou moins absolues, bref, toutes nos analyses et toutes nos synthèses ne sont en réalité que des diathèses. Ou plus précisément des éléments de signification d'une diathèse, si l'on élève ce concept à une théorie générale de la signification. Autrement dit des agencements cognitifs relatifs, historiques, provisoires, collectifs c'est-à-dire interpersonnels, qui ne procèdent jamais d'un monologisme absolu, mais au contraire d'une diathèse à la fois formelle et sociale effectuée entre des personnes singulières. Dialogue aux vifs. Envoi aux morts. Diathèse des uns et des autres. Et du monde. Dans ce monde. Par ce concept de diathèse, je cherche donc à amener la pensée commune à s'élargir non seulement à des relations d'ordre conceptuel, monologique, dialogique, dialogale ou autre, autrement impensables, mais encore à l'action et à la création. Là où les idées et les réalités se présentent indissociablement liées. Ou au contraire irréductiblement séparées, n'étant intelligibles ou utilisables que séparées. Élargissement théorico-pratique et humain, lui aussi autrement impensable. Quelques exemples. La transformation de la nature par la culture, casse-tête de la sensibilité écologique; la relation pluraliste entre les cultures, les langues, les nations, casse-tête politique des sociétés ouvertes face aux sociétés fermées; les dossiers chauds de la recherche scientifique, de la maîtrise du nucléaire aux manipulations génétiques en passant par le traffic international des drogues pharmaceutiques, casse-tête déontologiques mais aussi juridiques et économiques. Casse-tête! Casse-tête! Casse-tête . . . Parce qu'on ne sait pas penser autrement que par intérêt égoïste, c'est-à-dire dans l'oubli des autres. Raison pour laquelle on ne sait pas régler les conflits autrement que par la force. Mais voilà, la violence ne nous apprend rien. Et la dominance n'engendre que la dominance. Rien d' autre. Or, il n'y a pas de synthèse possible entre l'identité et l'altérité. Comme il n'y a pas de synthèse possible entre la guerre et la paix. Il n'y en a pas, parce qu'il ne peut pas logiquement y en avoir. Et effectivement, historiquement il n'y en a jamais eu. Et donc, logiquement toujours, il n'est pas difficile de prévoir qu'il n'y en aura jamais. Malgré le mensonge absolu de toutes ces morales de l'ambiguïté qui continuent partout à justifier la soi-disant raison d'État. Par contre, ce qui est possible, mieux, ce qui est pensé et mieux encore, ce qui est vécu ou réalisé d'instant en instant par chacun et chacune d'entre nous qui veut bien en prendre conscience immédiatement, c'est que nous vivons, pensons et réalisons tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons en diathèse. Entre nous. Diathèse qui se présente ici au plus simple, comme l'articulation logique du cogito personnel au cogito collectif. Ou encore, comme forme de la liberté d'action dans la pensée; ce qui nous permet d'orienter notre pensée. Soi vers l'autre. Soi contre l'autre. Soi vers soi. Soi contre soi. Dans tous les sens. Dans tous les temps. Dans tous les mondes possibles. Sans qu'il y ait jamais de raison de cesser. Tant la pensée s'agite dans la pensée même sans raison apparente. À plus forte raison quand elle a un motif. Idéal aussi bien qu'éthique ou qu'expérimental. Ou encore un désir. Ou encore un projet . . . Que sais-je encore? Touchant à vivre et à penser les uns avec les autres. Dans ce monde terrible et merveilleux qui heureusement n'appartient à personne. Et où le temps passe, mortel, de consciences personnellles en conscience collective. En résumé on peut dire ceci. La notion de personne, au fur et à mesure qu'elle se substituera à celle d'individu tendra à renouveler complètement l'anthropologie fondée sur l'identité. Qu'il s'agisse de l'identité logique, de l'identité psychologique ou de l'identité sociale. Et ce renouvellement-appelons le diathétique-du contrat social, permettra espérons-le, de renouveler la notion elle-même de démocratie. La volonté de puissance d'une seule conscience tyrannique suffisait jadis à gouverner un troupeau d'individus. Partout.Dans toutes les cultures. De nos jours, on le voit de mieux en mieux, même si c'est loin d'être l'Eden, une société de personnes conscientes ne se laisse pas manipuler aussi facilement. À la pseudo logique de guerre, elles ne cessent d'opposer sans relâche une logique de paix qui gagne du terrain dans toutes les cultures. Aussi est-ce la raison pour laquelle, à l'opposé le plus opposé de la tyrannie, seule leur convient la démocratie. J'entends par ce mot de démocratie toutes les formes de gouvernement cherchant à fonder l'identité sociale des nations non sur une abstraction juridique, l'individu, le sujet, etc. mais sur une réalité historique: la personne, chacun chacune d'entre nous. Et sur cette capacité qu'ont entre elles les personnes humaines d'échanger réellement de la connaissance aussi bien que de se concerter sur n'importe quel plan, politique, juridique, économique ou social en cogito collectif. Il ne s'agit donc nullement de la perfection ou de l'Idéal mais seulement d'un minimum humain qui, me semble-t-il n'a fait qu'apparaître à l'horizon de quelques consciences. Un peu plus sérieusement toutefois depuis Descartes. La démocratie antique n'a su être qu'un rassemblement d'individus et la démocratie moderne qu'un amalgame de cogito individuels. Autant d'abstractions juridiques. Elles ont échoué. Elles ne cessent d'échouer sous nos yeux. La démocratie à venir ne pourra être qu'un rassemblement de personnes. En diathèse. Ou ne sera pas. Tel est l'ultime point d'orgue de ma conclusion. Mais cette démocratie fondée sur la personne a-t-elle vraiment un avenir? Il n'y a qu'une seule manière de savoir si une chose est possible: c'est de la réaliser. Dernier scrupule. Pour ceux qui se demandent avec raison et de bonne foi si ce que j'ai lu dans Descartes peut être dit du cogito, je leur répondrai d'aller y voir par eux-mêmes, par delà les textes, dans leur propre cogito. De se fonder sur leur expérience de soi, selon l'envoi même de Descartes à ses neveux. Cela veut dire d'élargir la pensée cartésienne en fondant sur: soi avec les autres, plutôt que d'invoquer l'autorité des experts-juges et verser dans la violence d'une vaine querelle d'interprétation. Car je concluerai, dans l'esprit de "la petite Jehanne de France" (comme disait Blaise Cendrars) devant ses juges: si ce que j'ai trouvé d' autre est déjà dans le cogito qu'on le garde et qu'on le regarde; si ça n'y est pas qu'on l'y mette, et qu'on apprenne enfin à le regarder: l'autre. Quant à moi, je n'ai plus besoin de vouloir qu'il y soit . . . au-delà de la lecture de Descartes chacun peut le comprendre et le dire à son tour au lieu de se mentir et de mentir aux autres, si l'autre est en moi, alors l'autre c'est moi. |
Bibliographique Descartes, René, Oeuvres et lettres, textes présentés par André Bridoux, bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard, Paris, 1953 |