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Philosophical Anthropology

Anthropologie du Bo (Théorie et Pratique du gris-gris)

Jean-Marie C. Apovo
Université Nationale du Bénin

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ABSTRACT: Subjective knowledge should not be separated from anthropology. But, unfortunately, this is the prevailing practice. The anthropology of Bo expresses the presence of Africa in anthropology. The authenticity of the African is found in his fervent practice of Bo. His thought, action, relations with others-his entire way of life-is based on the practice of Bo insofar as he wears Bo names. Bo is deeply rooted in his cultural values and comprises the background for all social organizations and thus acts as a social regulator. In Western anthropology there is a scientific mind; in African anthropology there is a Bo mentality that attempts to understand the world and then conquer it.

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Problématique

Le premier devoir de l'homme selon Socrate, est de se connaître soi-même. De philosophique cette connaissance est devenue anthropologique de nos jours. L'anthropologie est une science qui tend à l'exclusion des autres, des autres hommes, des autres sociétés, des autres cultures. L'homme qu'elle connaît n'est pas un être abstrait, mais un homme concret, de tel continent, de telle race, de tel pays, de telle culture. C'est par exemple l'africain en général ou le béninois en particulier. Ainsi nous allons au cours de ce vingtième (XXème) Congrès Mondial de Philosphie, réfléchir sur l'homme en nous appuyant sur sa pratique du Bo (concept fon traduit en français par gris-gris).

Dans l'Homme et l'adaptation au milieu, René DUBOS écrit à la page : "On a généralement tendance à considérer que les activités scientifiques (recherches, etc...) sont à mettre à part de l'ensemble des manifestations de la vie humaine, et même qu'elles sont au-dessus ; cette tendance est dangeureuse pour l'humanité ; elles risque même de freiner le progrès scientifique. En fait, vu les rapports étroits qui existent entre l'entreprise scientifique et la totalité de la vie sociale, il est probable que la poursuite de la science ne sera possible que si les savants parviennent à rattacher leur curiosité professionnelle aux intérêts et aux aspirations de l'humanité en général... Le choix des priorités ne pourra plus se faire uniquement selon les critères de préférence presonnelle ; de plus en plus il sera fonction des exigences de la société. La science est comparable à un organisme qui ne peut survivre qu'en s'adaptant à l'évolution de la société au sein de laquelle elle fonctionne". Cette longue citation de l'anthropologue américain éclaire d'une lumière vive nos préoccupations dans le choix de notre sujet "ANTHROPOLOGIE DU BO" (théorie et pratique du gris-gris).

D'autant plus que l'auteur lui-même trouve que les faits, importants ou négligeables, sont intéressants par eux-mêmes et que le chercheur tire de leur étude la satisfaction d'une sorte d'existentialisme scientifique au jour le jour. "Mais la découverte des faits nouveaux peut également engendrer l'anxiété car le savoir apporte toujours la possibilité de semer le trouble dans les rapports entre l'homme et la nature, voire entre l'homme et l'homme" (Ibidem p. 10). Si on peut parler de trouble, d'anxiété, d'angoisse c'est surtout à propos du concept fon du Bo. Et pour y remédier définitivement il faut chercher à en exorciser le sens dans une étude systématique, approfondie.

Le Bo est considéré comme une pratique ésotérique réservée à quelques initiés appelés faiseurs de gris-gris en fon BOTO" alors qu'en réalité il constitue une valeur négritudinaire définissant une table hiéarchisée régulant la vie des noirs en général et des fon en particulier au Bénin. C'est surtout en littérature romanesque que des écrivains béninois l'on décrit pour en souligner l'aspect merveilleux, mystique, voire sacerdotal. L'Initié de Olympe Possy Béli QUENUM, l'Amour de féticheuse de Félix COUCHORO, l'Arbre fétiche, Kondo le requin de Jean PLIYA, Doguicimi de Paul HAZOUME. Bien que ce dernier auteur ait tenté du Bo une étude ethnographique (ce qui lui a valu le titre de premier ethnographe Dahoméen), il n'a pas dépassé l'aspect mythique et réligieux du Bo dans son ouvrage célèbre "Le pacte du sang au Dahomey". Du Bo, il donne précisément cette définition polysémique source de la polémique vive qu'elle a nourrie : "le gris-gris est un symbole". Ce dernier en est la base, c'est aussi à partir de lui que l'on peut induire l'intentionnalité et la finalité de celui qui y a recours. Mais cette définition est a-scientitifique parce que raciale à la fois (dans l'esprit des africains).

D'autres ethnologues étrangers qui ont travaillé en Polynésie et en Mélanésie (comme Codrington, Lehmann, Herwitt etc) ont dans leurs élucubrations abordé la notion du Mana qui est semblable à celle du Bo fon sans parvenir à montrer que ce Mana était au centre de la dynamique sociale mélano-polynésienne. De son côté, Marcel Mauss a étudié la magie dans Sociologie et Anthropologie sans écarter la magie de la réligion.

A - POSITION DU SUJET

Suivant le "Nouvel esprit scientifique" des exigences heuristiques de René DUBOS nous allons-nous interroger sur le Bo (gris-gris) pour en faire un objet de recherche, pour en faire une question préocupante étant donné que avec l'avènement du Marxisme-Léninisme au Bénin (1974) le Bo a cessé d'être le monopole des seuls initiés, faiseurs de gris-gris (BOTO) pour se mettre à la portée de la plupart des gens qui cherchent à s'en sortir des difficultés inhérentes à la politique d'une idéologie étrangère à des gens profondément animistes et réligieux. Les missionnaires et les européens voient dans le Bo une manifestation de Satan encore digne de la mentalité des primitifs tandis que la masse continue d'y voir un mythe, un mystère insondable. Dans ce contexte de confusion et d'ignorance, nous avons érigé le Bo en sujet de recherche pour en faire une étude scientifique, une BOLOGIE (du fon Bo improprement traduit en français par gris-gris et du grec logos, étude, science du gris-gris).

Les thèmes de recherche ne doivent plus être écartés des activités des gens, de leurs préoccupations, source de la vie et du progrès en société, ils doivent cesser d'être des domaines-tabous réservés à quelques initiés appellés savants. C'est donc au quotidien, au quotidien dahoméen que nous empruntons notre sujet de recherche en puisant à même la Culture des Fon. Comment ?

Nous aborderons donc le Bo sous l'angle de l'Anthropologie d'où notre thématique ANTHROPOLOGIE DU BO avec en sous titre THEORIE ET PRATIQUE DU GRIS-GRIS. L'homme selon le Bo ou la dimension sociale du Bo.

B - PLAN DU DEVELOPPEMENT

Trois parties essentielles articulent le développement dialectique de notre propos.

1) LA THEORIE

2) LA PRATIQUE

3) LA DIMENSION SOCIALE DU BO

1) La théorie

Nous prenons ce concept au sens de BRECHT en tant que "proposition visant à expliquer quelque chose"pour permettre la construction d'une théorie en sciences sociales. Dans cette entreprise nous serons à la fois rationnel et empiriste comme les anglo-saxons le pratiquent dans ces formules heuristiques : "Wait and see" ou "Try and see". C'est effectivement avec beaucoup de patience et de persévérance que l'on arrive à monter, à confectionner un Bo et à le mettre à l'épreuve pour la résolution des problèmes de la vie. La vie au Bénin nous rend le Bo familier mais au dire de Hegel : "ce qui est familier n'est pas pour cela connu". C'est pour cela que nous allons nous interroger sur la Genèse, la Définition et la Typoloie du Bo. A partir de ce moment le Bo devient un objet de science.

2) La pratique du Bo

Pratique entendue au sens d'action en tant qu'elle répond de la théorie. C'est d'ailleurs en vue de l'action que le dahoméen cherche à connaître le Bo. Il ne s'y intéresse jamais par simple curiosité intellectuelle et c'est toujours dans le but d'agir le plus rapidement et efficacement sur la nature ou sur ses semblables en société. Ce qui nous a amené à suivre l'exercice du Bo chez les différentes ethnies en vue d'une sorte de régionalisation du Bo pour montrer que le Bo nourrit une formidable dynamique sociale. En tant que valeur culturelle nous montrons comment se fait sa transmission, son acquisition, son expérience dans la vie familiale, domestique, publique, professionnelle, économique, politique et dans les activités ludiques et sportives, dans tous les cas il est déconseillé de faire usage des gris-gris mauvais dangereux ("Bodida", des "Dakabo"). Les acteurs du Bo entrent dans des relations triangulaires dialectiques : le faiseur de gris-gris (Boto), le client du Boto (Bowato), la victime du Bo (mede e bo o).

La théorie de la pratique du Bo résulte de la longue expérience vécue du Bo qui a fini par accorder à l'individu quelque soit son rang social, sa réligion ou sa région une certaine sagesse pratique qui l'aide à s'en sortir des difficultés de la vie en société faite d'hostilité, d'animosité, de rancoeur, de menace, de défense qui à la longue devient la science acquise du Bo, la "Bologie". Grace à celle-ci on arrive à saisir toute situation de façon globale et à la transformer en vertu du pouvoir que concède le Bo.

3) Dimension sociale du Bo

Cette "sagesse du Bo" va nous permettre de proposer de l'homme une nouvelle définition dans une manière typiquement béninoise, dahoméenne de nommer les gens à partir de leur praxis du Bo, de leur idéologie du Bo, de leur philosophie du Bo, tel que l'enseigne la pédagogie populaire des noms bophores, des bonymes, (Bognyko). D'où la troisième partie synthétique des deux autres la dimension sociale du Bo: L'ANTHROPOLOGIE des noms bophores ou de "Bognyko", "Botin" le Bo existe, "Bodjro" la volonté du Bo, "Bogbemedea" le Bo ne refuse personne, n'excepte aucune réligion, aucune idéologie, aucune philosophie. L'usage arrive à distinguer les faux Bonymes, des pseudo-bonymes, (les noms des rois ou des princes d'Abomey GLELE, GHEZO) des vrais bonymes qui en leur orthographe renferment le terme même Bo en préfixe ou en suffixe. Au demeurant on ne peut faire le Bo si on est soi-même athée : c'est Dieu Créateur de toutes créatures qui donne l'efficience au Bo et celui qui s'appelle BOLOME (dans les mains du Bo) se reconnaît implicitement dans les mains de Dieu, car Dieu étant source de tout est aussi source du Bo comme il est source, Créateur de la vie (MAHUGBEDOTO) en fon. Quelle méthodologie adopter ?

C - METHODOLOGIE : METHODE PLURIDISCIPLINAIRE

Nous avons exploité la méthode pluridisciplinaire ou la méthode par convergence du professeur Louis Vincent Thomas, notre Maître. Tout en évitant l'écueil de l'ethnocentrisme, cette méthode permet de faire dialoguer les disciplines entre elles pour donner à notre thème étudié divers éclairages complémentaires pour atteindre l'objectivité. Cette méthode a pour avantage d'aider à concilier le point de vue discursif et analytique, le point de vue intuitif de l'extériorité et de l'intériorité, l'explication objective et la compréhension sympathique, la recherche des modèles formels et la saisie phénoménologique des attitudes vécues. Il s'agit d'une véritable confrontation des interprétations des analyses des faits, leurs rapports qui font et défont les mentalités en confrontant les observations aux croyances du Bo, en allant des choses aux croyances, des idées aux réalités psychologiquement et socialement vécues comme culture. Dans cette dialectique de l'idée formulée et de la réalité vécue, de la mentalité à la vie, nous verrons l'Anthroplogie sortir de son cadre de définition habituel pour s'éclairer à la lumière d'autres disciplines (la philosophie, notamment la philosophie de l'existence, la dialectique et la psychologie) qui permettent de saisir d'une manière totale et globale le vécu collectif du Bo. Là il n'y a plus d'impérialisme de discipline, mais une complémentarité dans laquelle comme au rendez-vous du donner et du recevoir chaque discipline vient apporter ce qui manque à l'autre.

1) Enquêtes sur le terrain

L'Anthropologie étant une science de terrain essentiellement, nous avons privilégié le terrain à toute autre forme d'études (aucune étude exhaustive n'a réussi à faire du Bo un objet de science, la plupart des chercheurs y voient un objet de foi.) Comme le terrain demeure le laboratoire de l'anthropologue, nous avons sillonné la République du Bénin du nord au sud, de l'est à l'ouest, à travers ses différentes ethnies fon, mahis, nago, yoruba, dendi, somba, baatombu, bariba, adja, holli, etc, aux moeurs et aux coutumes variés pour observer, décrire et analyser leur praxis dynamisée par le Bo. Chaque Bo a son nom, sa composition, son incantation, son mode d'acquisition ou de transmission, sa posologie dans une langue déterminée par la région. C'est en ce sens que le manque de l'unité lingustique a compliqué notre recherche. Les vieux informateurs en pagne nous voyaient d'un mauvais oeil traduire en français ce qu'ils nous disaient en fon, nago, mahi, mina, yoruba, adja, dendi, grâce à un interprète. Le recours à un interprète ne les met pas toujours en confiance. L'enquête se déroule plus facilement lorsqu'on communique directement avec l'informateur en pagne. Il se plaît à développer sa pensée par des images, des comparaisons, des proverbes, des chansons qui infusent la connaissance par participation, par partage, par communion, par contagion, par diffusion ou par irradation. La connaissance surtout au niveau de la tradition orale est une connaissance affective beaucoup plus sentimentale que représentative. Le Bo étant un infuseur de sentiments il est beaucoup plus diffusé par révélation linguistique. Celle-ci nous délivre tout d'un coup le Bo dans son nom générique, dans ses ingrédients constitutifs et dans son usage pragmatique. Il n'a pas été possible de pratiquer avec nos enquêtés l'anthropologie visuelle, car ils n'aimaient pas voir prendre des notes dans des carnets ou par des enregistrements, des cassettes, des appareils-photos. Pour enquêter il faut avoir les sens de la vision et de l'audition très développés et une bonne mémoire. Rares sont les informateurs qui savent lire et écrire. Ceux-ci autorisent à prendre des notes ou à faire des enregistrements car ils reconnaissent qu'il est impossible de retenir par la seule écoute les ingrédients du Bo, sa composition, son incarnation et son mode d'emploi.

Les meilleures occasions d'informations ont été les moments que nous avons passés en train, taxi, en bus ou en notre propre voiture personnelle où les passagers se plaisent à déviser sur le Bo, à bâtons rompus, sans guide d'entretien, sans questionnaire et sans censure.

2) Personnes-Ressources

Les personnes interrogées étaient de toutes catégories socio-professionnelles mais en accordant une préférence aux enseignants : des citadins comme des ruraux, des hommes comme des femmes mais surtout des hommes car le Bo est une affaire d'hommes. L'âge limite est l'âge de raison jusqu'à la vieillesse en accordant la préférence aux vieillards aux cheveux blancs assagis par la vie, qui retiennent surtout les méfaits du Bo en condamnant l'usage des "Dakabo" (des gris-gris dangereux). Pour eux le Bo doit être gardé jalousement car il est le domaine où le noir excelle et peut par lui rivaliser avec le blanc. En effet si le blanc a inventé les antibiotiques pour combattre les maladies et le fusil pour l'ennemi, le noir lui a inventé le "Nunyi" 'l'incantation" et le tchakatou (fusil invisible) pour guérir les maladies et éliminer son ennemi en douce.

Les données recueillies et analysées par la méthode plurisdisciplinaire nous ont permis, malgré mille difficultés, de définir le Bo comme un pouvoir d'adaptation qu'acquiert l'homme en exploitant les éléments de la nature. Approfondissons cette définition puisqu'elle constitue le socle de notre ANTHROPOLOGIE.

3) Définition et typologie du Bo

a - Etymologie

Nous ne nous attarderons pas sur l'étymologie pour définir le Bo car l'étymologie nous en précise suelement la mentalité. Du mot yoruba "EBO" qui signifie ce qu'il faut cacher, ce qui est occulte, clandestin, confidentiel. Fidèles à cette étymologie beaucoup font du Bo un mystère, un mythe.

b - Défintion proprement dite du Bo

Définir le Bo c'est en énoncer la loi de construction, de montage, d'échafaudage, de fabrication comme le recommandent les expressions fon "e na jan bo o" (on va échafauder le gris-gris), "ma do mon ni" (on va lui tendre un piège), "e na so fecha" (il va se faire prendre). Le Bo n'est pas tout donné dans la Nature, c'est quelque chose que l'on monte, que l'on fabrique soi-même pour acquérir un pouvoir, une puissance, selon ce que l'on se propose d'atteindre en s'appuyant sur le symbolisme des éléments puisés dans la Nature. Ce symbololisme renferme en lui-même notre intentionnalité et traduit notre état d'âme, notre manque, notre frustration, notre inspiration, notre désir. Avoir la formule du montage du Bo, c'est en avoir la main (alo en fon, e na yi Bo sin alo), le brevet de fabricaiton et avoir la possibilité de le confectionner soi-même chaque fois que l'on en sentira le besoin. La meilleure définition est celle qu'en donnent les "Boto" (les faiseurs de gris-gris) eux-mêmes : "Bo ama we e nyi" (c'est la feuille qui est le Bo), sans mystère, sans mythe, sans divinité (vodun en fon). Mais pas n'importe quelle feuille. A l'origine ce sont les feuilles appellées en fon "Ahéhé", "Zintiti", "Séma", "Désèguèma", dont nous n'allons pas donner les noms scientifiques de peur de permettre à n'importe qui d'avoir ce pouvoir dit d'ailleurs occulte. "Ama" désigne de façon générale tout ce qui relève de la flore ou de la faune, du règne végétal, du règne animal, du règne minéral. Ainsi "Ama + kanlin hun" (feuille + sang d'un animal) renforce la puissance, le pouvoir du Bo obtenu. Malheureusement le premier noir qui a fait cette découverte, qui a fait ce montage en a fait un secret et a gardé cela jalousement pour lui tout seul, il en fait une chose cachée, confidentielle, réservée aux initiés.

En réalité la feuille toute seule est appelée Bo quand il s'agit du Nuvenu" (la chose naturellement puissante dont la puissance provient de son incompatibilité) : "je vegbui" (le sel et l'escargot sont incompatibles) c'est pourquoi l'escargot qui s'approche du sel meurt immédiatement. de même la feuille appelée en fon "Dan malia" (le serpent ne s'en approche pas) toute seule suffit à éloigner le serpent de la maison.

On s'est aperçu que définir le Bo ou le gris-gris par la puissance de la feuille (ama) s'avère une vue par trop théorique, générale. En effet cette défintion n'est valable que pour les Bo spécifiques appelés Nuvenu en fon. Car la feuille est un élément d'une composition plus complexe l'accompagne en effet une parole incantatoire (Bogbe) qui accomplit effectivement le Bo, transforme l'élément naturel symbolique culturel en BO. Ainsi la véritable définition du Bo est :

"Ama + Bogbe" = (feuille + parole incantatoire = gris-gris)

c - Les deux aspects du Bo

Le Bo a donc deux aspects :

- Aspect matériel concret visible la feuille "ama"

- Aspect immatériel abstrait, intelligible, le "Bogbe" (l'incantation). Plusieurs termes et expressions fon servent à traduire l'incantation : "Bogbé, Gbessissa "Nunyi". C'est là la source des malentendus, des méprises, des contreverses sur le Bo. Le Bo est-il un objet de science ou un objet de croyance ?

Le Bo sera un objet de science ou non selon l'explication qu'on donnera du "Bogbé", du "Gbessissa" du "Nunyi" de l'incantation. Ce dernier accomplit le Bo, lui permet de devenir efficient, lui accorde l'efficacité. Tout en exprimant l'état d'âme de l'individu, il constitue un procédé mneumotechnique qui permet de retenir les éléments constitutifs du Bo. Un exemple : "Kisezan" kpodo "celu kpo" (plume de perroquet trempée dans du parfum accompagné de l'incantation "Bogbe) "Zobi na ci o kisezo no cia zoce kpodote", si tous les feux s'éteignent, la flamme de la queue du perroquet ne s'éteint pas, ma flamme brûle toujours. L'individu qui utilise ce parfum acquiert un pouvoir de séduction et devient chanceux. L'habitude a disscocié les deux éléments : le matériel, la feuille et l'immatériel, l'incantation pour ouvrir la typologie du Bo. Mais en réalité l'un des éléments inapparent est toujours sous jacent, implicite. Ainsi la pierre appelée en fon "Awinyian guidigbadja" protège la maison contre les mauvais esprits, les voleurs, et l'incantation surotut en fon "Nunyi" éloigne de l'individu malheur, maladie, mort. Jésus, d'une simple parole incantatoire "Lazare, viens dehors", réssuscite Lazare, ramène Lazare mort à la vie. Même là, Jésus s'appuie sur la puissance de sa nature divine tout comme le Bowato naturellement s'appuie sur la puissance de la nature (phisis). L'incantation toute seule devient Bo, mais pour qu'elle devienne effectivement Bo, il faut que l'individu avant de la dire, de la prononcer ait mangé un peu de "Nudida" (chose praparée) qui rend la bouche efficiente. Le Nudida" c'est la noix de cola imbibée de sang d'animal. La feuille sous différentes formes chimiques ou esthétiques va devenir différents Bo sous les noms de :

"atin", poudre à avaler, à boire dans de la boisson, à vacciner

"tila", "defifin", talisman, amulette

"kpé", poison dans la coquille de l'escargot ou la corne d'un animal

"so", pieu, piquet que l'on enfonce dans le sol etc...

Suivant l'intentionnalité du pratiquant du Bo on distingue deux sortes de Bo, les Bo qui augmentent le bien-être de l'individu en lui donnant de la chance : les Ylo" et les Bo qui le sécurisent les "glo" qui portent différents noms en fon : "Fla" selon qu'il annule l'effet d'un autre Bo, "Flije" selon qu'il protège et attaque à la fois. Bo a donc pour fonction de protéger l'individu dans ses activités, dans sa profession en satisfaisant ses besoins. Les besoins constituent en dernier ressort les causes premières et les causes finales de tout recours au Bo.

Bref d'une manière générale on peut dire à la suite de Paul HAZOUME : "le gris-gris est un symbole que la foi rend efficace dans l'esprit des africains". c'est une telle définition du Bo qui fait qu'on n'arrive pas à prendre le Bo pour un objet de science mais pour un objet de foi. La foi est en effet nécessaire pour que le Bo ait son efficacité. Bien que le Bo soit établi un objet de croyance, il peut cependant être étudié scientifiquement comme nous l'avons fait à condition de s'écarter de l'esprit cartésien et l'appréhender dans la conception de l'Univers pour l'africain, conception à la lumière de laquelle le Bo cesse d'être irrationnel pour devenir intelligible. C'est dans la genèse du Bo qu'on peut saisir l'originalité de notre THESE.

4 - GENESE DU BO

Si l'on continue à penser comme "Hegel 'tout ce qui est effectif est rationnel, tout ce qui est rationnel est effectif", on ne pourra rien comprendre du domaine du Bo (gris-gris) car en Afrique il y a des choses qui sont réelles mais qui ne sont pas rationnelles. L'Occident d'ailleurs s'aperçoit maintenant que l'âge de la pure raitonalité est finie et que commence celui de l'intuition.

De tout temps le noir a considéré l'homme comme partie intégrante de l'univers comme une émanation de cet univers. Pour lui, vivre c'est dépendre de l'ensemble de cet univers, c'est puiser à cet univers, c'est puiser à cet enemble. Dès lors l'homme a à sa disposition les "forces les plus nobles", "les plus solides" contenues dans cet Univers qui ne sont connues que des initiés, des inspirés appelés en fon "Boto" (faiseurs de gris-gris).

L'homme est composé de trois parties : la tête, le tronc et les membres. La tête est l'antenne qui relie l'homme à ce que Platon appelle le monde supralunaire, le monde des vibrations cosmiques et les membres sont les antennes qui le relient au monde sublunaire, aux ondes magnétiques terrestres. Ainsi par la tête l'homme noir est dans des conditions données en communication avec les âmes, les esprits, les morts qui ne sont pas morts mais dont on peut à tout moment avoir des informations, des directives, des moyens pour bien mener sa vie. L'homme par la synthèse des radiations supralunaires arrive à vivre et dans le cas contraire c'est à dire dans l'impossibilité de cette synthèse, il se désagrège, il tombe et il meurt, n'étant plus en harmonie avec l'ensemble de l'univers, il s'est fragilisé. "Il y a comme dit HAMLET, dans le ciel et sur la terre plus de choses que n'en rêve la philosophie".

Par la capture des ondes cosmiques, des ondes magnétiques, l'homme se sent en communication avec les trois mondes : le monde minéral, le monde végétal et le monde animal comme nous le révèlent les analyses biochimiques des éléments constitutifs de l'organisme humain (fer, calcium, magnésium, phosphore, oxygène, azote, carbone etc).

Il est donc en plein dans un uinvers ; c'est dans ce milieu qu'il doit puiser sa substance et sa subsistance pour exister en tant qu'être vivant et pensant. Situé ainsi dans l'univers contrairement à ce que l'on dit, l'homme noir n'est ni un athé, ni un polythéiste, il croit en un Dieu Suprême, Infiallible, Maître de l'univers (MAHUGBEDOTO). Ce Dieu tout puissant a créé, grâce à son intelligence infinie l'univers avec ses règles fonctionnant dans les moindres détails et de façon irréversible. Il a confié à chaque chose sa fonction suivant une hiéarchie dans laquelle Il est le sommet et l'homme la base. Entre les deux, Il a mis des ETRES-FORCES, auxquels l'homme peut éventuellement s'adresser pour construire son "UMWELT". Ainsi lorqu'on veut par exemple entreprendre quelque chose et que des obstacles surgissent, ce n'est pas à Dieu que nous devons nous adresser mais à ces être-forces que sont les voduns (divinités), les saints, les mânes, le "FA", l'oracle, intermédiaires auxquels "MAHUGBEDOTO" a donné d'avance la capacité de venir à notre secours. C'est là la clef des malentendus, des mépris sur le Bo, objet de science et objet de croyance.

Conclusion

Dans l'état actuel de nos connaissances, nul ne peut sa vanter d'avoir dit du Bo le dernier mot ; sa théorie est difficile car sa connaissance est beaucoup plus pratique que théorique : L'ANTHROPOLOGIE DU BO" nous ouvre un domaine de théorie pratique et de pratique théorique selon l'heureuse expression de Emile DURKHEIM (Education et Sociologie). L'homme est un être pour le Bo.

Le Bo conduit au règne des choses et des hommes, instrumentum regni. Il est ce que l'homme a hérité de Dieu de merveilleux pour continuer l'oeuvre de la Création. C'est pourquoi l'individu y croit fermement et s'y adonne entièrement pour engendrer des déterminations psychiques socicologiques autres que physiques.

Produit de la Nature et de la Culture, le Bo est présent sous tous les cieux et pas seulement dans les sociétés dites à tort ou à raison primitives. Son importance dans la société dépend du niveau du développement de la raison dans cette société, dans sa conception du monde et dans sa conception même de la Culture. Dans les pays développés il est traduit par magie car ces pays n'arrivent pas à concevoir que l'irrationnel puisse cohabiter avec le rationnel pour rendre aussi intelligibles que possibles les rapports de l'homme avec la Nature ou avec ses semblables.

L'éducation de l'enfant et du néophyte pour être complète s'accompagne de la connaissance de la flore et de la faune du milieu par la pratique du Bo afin de favoriser la maîtrise de la nature et la domination des hommes.

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