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Aesthetics and Philosophy of the Arts

Complementarite Technique et
Complementarite Esthetique

Gérard Sondag
Université Blaise-Pascal

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Résumé: Outre l’éducation éthique, il existe aussi, selon le mot de Schiller, une ‘éducation esthétique de l’humanité’, à laquelle le philosophe peut contribuer. Selon la conception moderne (préparée en réalité dès la scolastique, par Saint Bonaventure notamment), la beauté est appréhendée par l’homme dans et par l’expérience esthétique. La présente étude a pour objet d’étudier une expérience esthétique particulière. La beauté d’un corps naturel ou celle d’un objet technique se révèle à nous dès lors qu’à l’organisation fonctionnelle de ses parties se subsiste un agencement formel de ses mêmes parties, constituées dès lors en parties esthétiques. C’est donc la face, ou plutôt la cause objective de l’expérience esthétique qui est étudiée ici. Mais la notion d’expérience soulève aussi deux autres problèmes qui ne peuvent être examinés faute de place, celui de la disponibilité subjective et celui de la communicativité (plutôt que la communicabilité) de l’expérience esthétique.

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Il existe de Saint Augustin un traité qu’il écrivit dans sa jeunesse mais n’acheva pas, ou qui est perdu. Nous connaissons seulement son titre, avec quelques indications sur le contenu. Il s’appelait De pulchro et apto. Dans ce écrit antérieur à sa conversion, Augustin, encore préoccupé de problèmes esthétiques, faisait une comparaison entre ce qui est adapté et ce qui est beau. Il définissait l’adapté comme la qualité de ce qui a de la valeur par rapport à autre chose, à quoi il est subordonné, et le beau comme la qualité de ce qui possède une valeur en soi ou par rapport à soi, et n’est subordonné à rien d’autre. En d’autres termes, ce qui confère à un objet adapté, naturel ou artificiel, sa valeur, c’est la fin qu’il permet d’atteindre, laquelle se trouve donc en dehors de lui-même. Au contraire, ce qui donne sa valeur à un objet beau, qu’il soit naturel ou de fabrication humaine, n’est pas une fin qui se trouve à l’extérieur de lui-même, à laquelle il serait assujetti.(1)

Cette idée deviendra classique dans la philosophie. C’est sur elle notamment que repose la doctrine kantienne du beau. Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons de reprendre l’ancienne comparaison, mais au lieu d’opposer simplement objet adapté et objet beau comme deux sortes d’objets différents, nous essaierons de montrer comment une même chose peut recevoir une valeur technique ou une valeur esthétique suivant la façon dont ses parties internes s’organisent. les unes par rapport aux autres.

Complément technique et complément esthétique

Pour commencer, il faut remarquer qu’un objet adapté, par exemple un outil, est toujours constitué de parties discrètes, serait-ce une simple épingle, ayant tête, fût et pointe. En outre, ce qui fait la valeur utile d’un tel objet, c’est évidemment son adaptation à la fin qu’il permet d’atteindre, mais l’adaptation d’un instrument considéré en son tout à la fin à laquelle il est ordonné implique à son tour une adaptation interne de ses parties constitutives les unes par rapport aux autres. Par exemple, si l’on définit un bateau à voiles comme une machine pour la navigation, on voit que ce qui le constitue comme tel, c’est un agencement interne de ses parties—coque, pont, mât, voiles—parties qui, prises séparément, ne constituent pas un instrument complet, ou constituent d’autres instruments qu’un bateau, puisque le mât peut être un outil servant une autre fin que de supporter une voile.

Si nous considérons maintenant un objet beau, par exemple un beau corps ou une belle sculpture, nous voyons qu’il est lui aussi constitué de parties. Mais les parties d’un objet beau en tant que beau ne se confondent pas avec ses parties constitutives en tant qu’objet. Certaines parties de l’objet en tant qu’objet n’entrent pas dans le total des parties de l’objet en tant que beau. Pour reprendre l’exemple kantien d’une ‘libre beauté de la nature’, cette tulipe-ci par exemple, il est clair que les racines ne sont pas des parties esthétiques de la fleur car, prise avec ses racines, la tulipe apparaît plutôt, dit en langage kantien, comme un produit de la technique naturelle et non comme une libre beauté. De même, lorsqu’on voit sur la mer un beau voilier, la partie immergée de la coque n’est pas une partie esthétique du bateau. Il faut au contraire qu’elle soit effacée pour que ressorte la voile. Au contraire, dans un objet adapté, nulle partie constitutive ne peut être omise et retranchée sans compromettre l’adaptation de ce objet, partant son utilité.

Ainsi, objet adapté et objet beau sont faits de parties, mais dans le premier les parties constitutives doivent être toutes présentes et coordonnées. Dans le second, au contraire, certaines parties constitutives peuvent ne pas être présentes à la vue sans compromettre la beauté du tout. On peut même penser que des parties de l’objet beau, étant esthétiquement inutiles, doivent être omises dans la considération de sa beauté. Dans tous les cas, il est certain que les parties esthétiques d’un objet en tant que beau ne se confondent pas avec ses parties constitutives en tant qu’objet, faute de quoi il se présenterait à nous pour ce qu’il est, un objet, un simple objet, et non pas quelque chose de beau.

L’utilité d’un instrument repose sur un rapport déterminé entre ses parties intégrantes, qui est lui-même commandé par l’adaptation de cet instrument à la fonction à laquelle il est assujetti. De même, on peut penser que la beauté d’un objet tient à un certain rapport entre ses parties esthétiques, mais ce rapport sera différent de celui commandé par l’adaptation de cet objet à la fin qui lui est extérieure.

En effet, si l’on considère à nouveau les parties d’un quelconque instrument, l’on voit que leur rapport entre elles repose sur un certain ordre, en ce sens que telles parties sont nécessairement ordonnées aux autres. Dans une hache par exemple, la partie utile est le fer, tandis que le manche lui est subordonné. Le manche est le complément du fer, ou le fer est complété par le manche. Il en va de même dans le cas d’un voilier. La partie utile à la navigation et au transport, c’est la coque, tandis que la voile lui est subordonnée, puisque sa fonction est de transmettre à la coque la force motrice du vent.

Renversement du rapport de complémentarité

Cependant si un jour, au bord de la mer, nous observons des voiliers au large, ou des planches à voile à quelques brasses du rivage, alors, pour peu que nous soyons dans un état d’esprit favorable, il se produit à leur vue comme un renversement de leurs parties, source de plaisir. La voile, qui attire d’emblée le regard, n’est plus assujettie à la coque, ni l’aile à la planche du véliplanchiste. C’est le contraire qui a lieu. Réduite à un trait, la coque sert uniquement à faire valoir la voile, et la planche à faire valoir l’aile gonflée par le vent. Ce qui fait qu’une partie d’un objet utile peut valoir pour soi, c’est qu’elle se libère de sa sujétion technique à une autre partie, et donc libère le tout de sa sujétion à la fin extérieure qui le constitue comme totalité techniquement utile.

Le complément a pris la place du complété et inversement. Ce qui était subordonné est devenu le principal et inversement. A partir de cette observation, on pourrait tenter de dégager une règle générale, afin de voir si elle s’applique à d’autres cas et en tirer les conséquences : la complémentarité esthétique, dirons-nous, est le renversement de la complémentarité technique, par quoi dans un même objet le complément prend la place du complété et inversement. Les parties d’un objet se constituent en parties esthétiques lorsque l’ordre qui existe entre parties utiles est inversé. Plus précisément, le complément a pris la place du complété mais sans le remplacer. Seul a changé l’ordre des parties.(2)

Il semble possible d’appliquer cette règle à des objets qui ne sont pas des objets techniques, mais naturels. Si nous considérons par exemple un arbre, nous dirons que les branches, les rameaux et les feuilles sont des organes de l’arbre, c’est-à-dire des instruments naturels au service de sa vie.(3) Or il est clair que, d’un point de vue esthétique, c’est l’inverse qui est vrai. L’arbre, ou du moins le tronc, là où les branches prennent naissance, est un instrument esthétique au service de la frondaison. Il est ce qui permet au feuillage de valoir pour soi en se déployant dans l’espace, de l’intérieur vers l’extérieur. Autre exemple : le corps humain est constitué de la tête, du tronc et des membres. Or c’est la tête qui commande aux membres, lesquels sont des instruments de la locomotion et de l’action. Considérons maintenant une belle sculpture, comme l’Héraclès de Bourdelle, dont un exemplaire est à Toulouse, au centre de la place du même nom. Le héros grec est représenté en train de tirer à l’arc. Son genou est planté en terre, l’autre jambe étendue droit devant s’appuie contre un rocher placé en face de l’archer. L’un des bras tient l’arc bandé, tandis que l’autre, fléchi, tire une corde invisible. C’est ce déploiement des membres qui frappe immédiatement dans la sculpture, non la tête du héros, que le sculpteur a voulue intentionnellement petite. En tant que partie esthétique, la tête passe au service des membres de l’archer. On en dirait autant du Penseur de Rodin. La posture inhabituelle du modèle, résultat de la distorsion esthétique, fait passer son corps au premier plan, transformant le penseur en athlète au repos. Ainsi, le sculpteur a réalisé dans l’art ce renversement de complémentarité qui fait qu’en tant que partie esthétique la tête humaine est subordonnée aux autres parties esthétiques du corps. Mais ce que peut l’art, le hasard le peut aussi. Ainsi de la célèbreVictoire de Samothrace. On l’a souvent observé, la statue est plus belle acéphale qu’elle le serait complète, si elle avait été épargnée par le sort. En la privant de sa tête, le hasard a donné à son corps et à ses ailes toute liberté de se déployer, réalisant ainsi l’esprit de la victoire. La privation du chef—non sa simple absence—est un cas-limite du renversement de complémentarité, d’autant plus frappant qu’il est inintentionnel.

Conditions du renversement

Analysons maintenant les conditions de ce phénomène. Ce qui permet au renversement de s’effectuer, c’est d’abord le spectacle. Si, à la vue du voilier, la coque peut passer au service esthétique de la voile et, dans la contemplation de la sculpture de Bourdelle, la tête au service esthétique du corps, c’est uniquement dans le spectacle, quand un tout s’offre au regard en une seule fois, non seulement l’objet lui-même, mais aussi son environnement, son fond ou son cadre, lesquels entrent en tant que parties esthétiques dans le tableau complet qui s’offre au regard, mais ne constituent pas des parties utiles de l’objet. Le ciel sur lequel la voile se détache n’est pas une partie utile du bateau, c’est une partie esthétique du spectacle, puisqu’il forme avec la voile un tout partiel. Dans les objets naturels ou les objets techniques conçus sans dessein artistique, le renversement esthétique provoque une épiphanie, c’est-à-dire une manifestation particulière, inattendue, par laquelle l’objet se manifeste comme totalité esthétique, suscitant une émotion spécifique vécue comme un événement. C’est pourquoi aussi le plaisir esthétique constitue une expérience.

En second lieu, le spectacle esthétique doit constituer une totalité, puisque la beauté n’est pas une forme ou qualité absolue, mais résulte d’un rapport entre les parties d’un objet entre elles et avec le tout, et qu’il doit donc exister une totalité esthétique formée de ces parties.(4) Mais la totalité esthétique diffère de la totalité technique. Cette dernière résulte d’une concorde entre les parties qui est régie par un ordre de subordination, de telle sorte que tout ce qui est étranger ou nuisible à cet ordre est techniquement superflu et indésirable. De là le dépouillement toujours plus grand de l’objet technique. Au contraire, la totalité esthétique est une concordia discors, telle qu’il existe une certaine convenance entre les parties, faute de quoi la satisfaction esthétique ne serait pas réalisée (parce qu’elle suppose toujours une certaine complétude), mais aussi une certaine disconvenance, faute de quoi les parties s’ajusteraient suivant un ordre technique, commandé par une fin extérieure.

En troisième lieu enfin, la complémentarité esthétique est formelle et non pas fonctionnelle. Or si, pour être parfaite, la complémentarité fonctionnelle doit éliminer toute trace d’opposition entre les parties d’un tout fonctionnel, la complémentarité formelle veut un degré inéliminable d’opposition entre parties esthétiques. Dans le spectacle marin, la coque réduite à un trait horizontal complète esthétiquement la voile par opposition ou contraste formel, c’est-à-dire de forme à forme. Dans l’Héraclès de Bourdelle, la tête de l’archer complète esthétiquement le corps et les membres parce que, fermée sur soi, elle s’oppose à l’extension des bras et des jambes, constituant ainsi une sorte de contrepoint. La beauté est une concordia discors, mais dans cette expression l’ordre des notes n’est pas réversible, ce qui veut dire que la concorde formelle doit l’emporter sur la discorde formelle, bien que la concorde ne serait pas possible sans un certain degré de discordance entre les formes.

A partir de ces remarques, il paraît possible de classer plusieurs sortes de totalités différentes, la totalité fonctionnelle de l’objet technique, la totalité fonctionnelle de l’objet technique doté d’une beauté fonctionnelle, enfin la totalité esthétique de l’objet beau. La première repose sur l’adaptation des parties commandée par une fin extérieure. La seconde est semblable, mais à l’adaptation des parties elle ajoute la perfection de l’adaptation des parties entre elles, ainsi que la perfection de l’adaptation du tout fonctionnel à la fin extérieure qu’il permet d’atteindre. La totalité esthétique, quant à elle, résulte de la désadaptation des parties constitutives et de leur réadaptation en tant que parties esthétiques incluant un certain ‘jeu’, sur lequel repose la concordia discors. Le renversement de la complémentarité technique en complémentarité esthétique, où le complément prend la place du complété, est l’un des moyens par lequel une totalité esthétique se constitue. A partir de là, on peut comprendre en quel sens la totalité esthétique a sa fin en elle-même. Dire qu’elle a sa fin en elle-même signifie tout d’abord qu’elle ne sert pas une fin extérieure, comme c’est le cas d’un tout fonctionnel. Or, nous avons vu que, pour être adapté à la fin qui lui est extérieure, un tout technique ou fonctionnel suppose une adaptation interne des parties constitutives suivant un ordre non-réciproque et finalisé des parties (la voile sert à la coque pour avancer dans l’eau, non l’inverse), réalisant une convergence de la force sur un point extérieur d’application. Au contraire, le tout esthétique est privé d’un tel point extérieur d’application. Dans ces conditions, les parties s’organisent différemment, les unes par rapport aux autres, suivant des rapports d’opposition et liaison formelles qui, lorsqu’elles sont accomplies, réalisent l’équilibre du tout esthétique.

Conclusion

La règle esthétique du renversement de complémentarité peut-elle s’appliquer non seulement à de beaux corps naturels ou de belles scultptures, mais aussi à des oeuvres de peinture, voire de poésie ? C’est la question qu’il faut maintenant aborder, sans prétendre la traiter complètement. Pour ce qui est d’abord des arts plastiques, il faut observer qu’un dessin, un tableau comportent une dimension supplémentaire qui est absente de tout corps naturel et qui, bien qu’elle soit aussi présente dans une sculpture, s’y remarque moins. Un corps physique, intuitionné in praesentia, ne montre ou ne représente que lui-même, tandis qu’une peinture montre ou représente ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, à savoir le sujet représenté.(5) Or dans l’art de peindre, la représentation du tableau par lui-même suivant des règles plastiques prendra nécessairement le pas sur l’imitation du sujet représenté. Montrons-le sur un exemple. Si l’on veut dresser une table de dessert pour des convives, on la posera sur le sol ; sur le plateau de la table, on mettra une nappe ; sur la nappe des coupes et dans les coupes des fruits—le premier élément supportant le second, le second le troisième, etc, jusqu’à aboutir à l’élément seul utile de ce dispositif, savoir les fruits à consommer. Mais dans une nature morte de telles considérations d’utilité perdent tout leur sens. Les rapports entre les objets ne sont plus régis par des impératifs techniques de complémentarité, mais par des règles formelles de complémentarité esthétique. Dans ces conditions, le peintre peut parfaitement imposer des distorsions aux choses, par exemple en redressant le plan de la table, de telle sorte que celui-ci, techniquement secondaire dans le dispositif réel, devient esthétiquement intéressant dans la représentation picturale du dispositif, constitué dès lors en image picturale. L’équilibre esthétique du tableau, obéissant à la concondia discors des parties, sera contraire à l’équilibre physique des éléments représentés.

Ces considérations sont-elles, pour finir, applicables à la poésie ? Là comparaison est difficile dans la mesure où, dans les arts plastiques, le totum esthétique est constitué de parties toutes co-présentes, alors que les notes du poème se succèdent. Cependant, il est des cas où le poète parvient à un renversement de valeurs similaire à celui qui se passe dans la totalité visuelle. Le sens d’un vers peut changer complètement suivant que la disposition des notes est directe ou inversée. Considérons par exemple les vers suivants, qui pourraient être de Victor Hugo:

Le dur faucheur avec sa large lame avance

Pensif et pas à pas vers les épis de blé.

Ce distique décrit une scène banale. On voit d’abord le faucheur (première note), puis la faux (deuxième note), enfin le blé à couper (note finale). Tous les éléments de l’action sont placés dans l’ordre fonctionnel du rapport aristotélicien, d’après lequel on considère d’abord l’agent, puis l’action ou l’instrument, enfin le patient.

En réalité, Hugo a écrit non pas ce vers banals, mais ceux-ci:

Le dur faucheur avec sa large lame avance

Pensif et pas à pas vers le reste du blé.

Le sens des deux vers est complètement changé. La note principale est la dernière. C’est le ‘reste du blé’. Lorsqu’on arrive à cette note finale, on comprend évidemment qu’il ne subsiste plus qu’un peu de blé à couper, et que ce reste est une image. Du coup l’on comprend aussi, par rebroussement, pourquoi le faucheur est ‘dur’, pourquoi il est ‘pensif’ et marche ’pas à pas’, avec, de plus, le rythme de la marche et de la fauche indiqué par l’allitération la ‘large lame avance’. L’idée est banale, la scène est banale, mais le déplacement de l’accent sur la dernière note, avec le rebroussement qui s’ensuit, fait d’une scène ordinaire une image extraordinaire. Ce n’est pas un hasard si Paul Valéry jugeait ces deux vers parmi les plus beaux de Hugo.

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Notes

(1) Les Confessions, IV, 14.

(2) Une question se pose toutefois. En effet, si au lieu de l’exemple trop clair du voilier, nous prenons celui, moins évident, de la hache, dirons-nous qu’ici aussi un renversement de l’ordre des partiesle manche et le ferest possible, comme précédemment ? Ce n’est pas impossible, pour peu que le manche, supposons-le de bois, soit incurvé à la base, comme il arrive souvent pour favoriser la prise de la main et permettre au fer de frapper par le milieu du tranchant. Dès lors en effet qu’à la convexité du fer répond la courbure contraire du bois, un raport s’établit entre la forme de l’un et de l’autre, qui n’est plus seulement pratique mais esthétique. Mais au lieu d’un renversement complet, comme dans le cas du voilier, nous aurons plutôt une sorte d’oscillation, où le complément et le complété esthétiques se substituent mutuellement, par subalternation. Tel est du reste le cas le plus fréquent.

(3) L’interdépendance des parties d’un organisme, que Kant se plaisait à un opposer à une machine (au demeurant fort simple, comme une horloge) ne contredit pas leur subordination, comme le montre le fait de la croissance végétale : les parties plus différenciées procèdent organiquement de parties moins différenciées, non l’inverse.

(4) Comme le note Jean Duns Scot, "Pulchritudo non est aliqua qualitas absoluta in corpore pulchro, sed est aggregatio omnium convenientium tali corpori (puta magnitudinis, figurae et coloris) et aggregatio omnium respectuum (qui sunt istorum ad corpus et ad invicem)" (Ord. I, d. 17, p. 1, q. 1-2, n. 62). Cette définition du docteur scolastique, si moderne en dépit du contexte historique (XIII-XIV èmes siècles) où elle fut formulée, n’exclut évidemment pas la possibilité d’une forme de beauté non-relationelle, comme, par exemple, celle de ce qui est uni et plein, un beau ciel, une belle étoffe, mais ce point n’est pas à considérer ici, car la beauté d’un ciel uni ou celle d’une étoffe est avant tout celle d’une matière homogène.

(5) Sur ce point, voir notre article "Les forces, les formes et l’esprit dans la perception de la peinture", in : P. Magnard (dir.), Métaphysique de l’esprit, De le forme à la force, Paris, Vrin, 1996, pp. 207-217.

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