ABSTRACT: This study demonstrates that Schiller's philosophical work is not limited only to the explanation of the artistic phenomenon as such, and that, for him, art represents the premise of philosophizing, of elaborating an original conception of the world and of humanity. I emphasize the way in which the poet and playwright uses art as a philosophical method with a view to penetrating meaning in the world and in life and to identifying a solution to the crisis confronted by modernity. In this context, based on the conviction that the historical and rationalistic methods are the only ones valid for human understanding and achievement, Schiller, due to his artistic genius and his beginning from Kant's ideas concerning the compatibility of the theoretical and the ethical by means of the aesthetic, advances a way of raising nature (the sensible) to the level of morality with the help of the artistic creation interpreted as a game. What radically distinguishes and confers originality on Schiller's versus Kant's conception is the modality of solving the problems of the relation between necessity and liberty, sensibility and intelligibility, and individuality and liberty, thus offering the image of a person able to aspire to resonance with the exactingness of the Great Time, when evolution may become self-evolution, and history transhistory.

Friedrich Schiller n'est pas seulement un sommet de la litterature allemande, il est en meme temps un philosophe d'une profondeur et d'une originalite impressionant. Il ne "poetise" pas la philosophie, mais suit les exigences d'une pensee d'une rare rigueur theorique et methodologique. Son oeuvre philosophique est l'une des plus remarquables contributions dans la philosophie de l'art. Il faut mentionner pourtant que les recherches philosophiques du grand ecrivain ne se limitent pas a l'explication du phenomene artistique comme tel: l'art represente pour lui une premisse de l'activite de penser philosophiquement, de l'elaboration d'une conception du monde et de l'homme. Schiller est le penseur qui considere l'art comme l'instrument indispensable pour la comprehension du sens du monde et de la vie. C'est pour cela que, en analysant sont oeuvre philosophique, nous n'y decouvrons pas seulement un systeme esthetique interessant, mais nous penetrons dans un univers philosophique complexe, fonde sur des considerations d'ordre esthetique. On peut dire que, pour ce genial poete et dramaturge, l'esthetique n'est pas seulement un branche de la philosophie mais une veritable methode de celle-ci.

Schiller a ete profondement marque par la questions spirituelle que posait, des le debut, l'evolution du monde moderne, confronte a la crise d'une pensee en train de perdre le sens de la totalite et du Principe, il a essaye d'offrir une solution a ce probleme grave, en partant des elements essentiels offerts par la culture moderne qui, une fois engaje dans l'histoire, s'est limitee a la valarisation du vecu et de la creation humaine.

Dans l'elaboration de sa conception philosophique, le penseur allemand part donc du constat de la maladie de la culture et de la civilisation modernes europeennes et reflechit, en s'inspirant de Kant sur la relation entre les facultes essentielles de l'esprit et les conditions que president a la realisation de l'individu en tant qu'etre total, car l'individu harmonieusement develloppe est l'instance supreme dont depend finalement l'evolution normale equilibree d'une societe.

Le theme de l'accomplissement de l'individu comme l'homme total, unitaire et harmonieux est le theme central de la pensee de Schiller, place sur le fond des questions et des inquietudes provoquee par l'evoluton des evenements de la Revolution Francaise et, en meme temps, par "le besoin d'adopter une voie moyenne entre l'acceptation soumise de la dictature et la rebellion sauvage" (1)

Comme les grands representans des Lumieres, Schiller desirait l'instauration d'un Etat de la raison et voyait dans la Revolution Francaise le premiere tentative de mettre d'acord l'Etat et la Raison, mais il ne pouvait pas accepter idee, presente dans l'oeuvre de Kant, de l'institution d'un Etat qui annihilot d'epanouissement harmonieux de la personnalite humaine. Schiller, le moraliste, etait attire par le systeme de Kant; en revanche, Schiller, l'artiste et l'etheticien, voulait recuperer l'unite de la nature humaine et du monde humain. D'ailleurs, sa pensee lucide et visionnaire, qui est celle d'un combatant acharnne pour la liberte, lui fait voir les consequences funestes d'une societe qui surencherit, avec une intrasigences radicale, les exigences de la raison.

Moralement, l'homme moderne n'est pas a la hauteur des exigences de l'epoque, Schiller estimant que l'obstacle qui empechait l'Etat de devenir l'organe de la liberte humaine etait constitue par la persistance de la condition immorale du manque de liberte. L'homme, dans la societe industrielle moderne, est moralement indigne de liberte politique, parce qu'il reste divise par l'opposition entre les domaines de la necesite et de la liberte, des instincts et du devoir moral, du sensible et de l'intelligible.

Dans Brife uber die asthetische Erziehung des Menschen, Schiller remarque le fait que l'edifice pourri de l'Etat naturel, c'est-a-dire de l'Etat fonde sur la force et l'oppression, chancelle, mais bien que le moment historique soit favorable au renversement, il ne trouve pas une generation capable de le faire. Il constate que "les instincts brutaux et anarchiques" caracterisent "les classes d'en bas" tandis que "les classes civilisees presentent l'aspect encore plus degoutant, de la mollesse et de la degenerescence, qui est d'autant plus revoltant, qu'il est cause par la culture. (2)

Par opposition a son epoque, Schiller croyait qur l'Antiquite grecque avait ete la periode de l'histoire de l'humanite ou l'individu vivait en totale unite et harmonie avec soi-meme et avec la nature. La civilisation moderne a detruit la vieille unite et l'harmonie. "C'est la civilisation elle-meme qui a fait cette blessure au monde moderne. Aussitot que, d'une part, une experience plus etendue et une pensee plus precise eurent amene une division plus exacte des sciences, et que, de l'autre, la machine plus compliquee des Etats eut rendue necessaire une separation plus rigoureuse des classes et des taches sociales, le lien intime de la nature fut rompu, et une lutte pernicieuse fit succeder la discorde a l'harmonie qui regnait entre ses forces diverses". (3) La division du travail est la cause de la situation precaire des hommes. Le conflt des facultes a pour consequences le progres de la civilisation, l'espece a donc gagne mais les individus, pris isolement, sont incomplets et mutiles. Bien que l'humanite gagne en cultivant, isolement, les forces humaines, l'individu souffre a cause de ce but general.

En revelant les fondements sociaux de la desintegration de l'ame individuelle, Schiller ecrivait: "Alors il y eut rupture entre l'Etat et l'Eglise, entre les lois et les moeurs; la jouissance fut separee du travail, le moyen du but, l'effort de la recompense. Eternellement enchaine a un seul petit fragment du tout, l'homme Iui-meme ne se forme que comme fragment; n'ayant sans cesse dans l'oreille que le bruit monotone de la roue qu'il fait touner, il ne developpe jamais l'harmonie de son etre; et au lieu d'imprimer a sa nature le sceau de l'humanite, il finit par n'etre plus que la vivante empreinte de l'occupation a laquelle il se livre, de la science qu'il cultive." (4)

Puisque la source de la desintegration de l'individu se trouve dans l'evolution de la culture, le retour a l'etat ou l'individu vivait dans l'unite et l'harmonie avec soi-meme et avec le monde, trait caracteristique, selon Schiller, du monde grec, doit etre oeuvre toujours de la culture. Si l'harmonie des facultes humaines ne peut etre realisee par la voie de la lutte revolutionnaire, le grand dramaturge allemand, se fondant sur les idees de Kant concernant la compatibilite de la raison theorique avec la raison pratique par l'entremise de l'esthetique, qu'il developpe arrivant a de nouvelles conclusions, au-dela des conceptions du maitre - pensera que l'art est l'instrument de la transformation de l'Etat naturel de la contraint (Notstaat) dans l'Etat de la raison (Vernunftstaat), de Ia liberte.

Conscient du fait que la revolution par le changement des structures sociales ne peut realiser la reconciliation de la sensibilite et du devoir, de la necessite et de la liberte, Schiller arrive a la conclusion que pour resoudre la question politique il faut passer, d'abord, par l'univers de l'art, car le chemin de la liberte passe par la beaute. Par consequent, le penseur allemand considere que de l'exterieur on ne peut pas mettre de l'ordre dans le monde de l'homme, ii faut le regenerer de l'interieur.

Ces idees sont presentes d'abord dans l'ouvrage Uber Anmut und Wurde, ou Schiller demontre que l'art et la morale se completent pour elever l'homme a la dignite. Le penseur fait la distinction entre la beaute et la grace, l'une exprimant la plenitude de la nature et l'autre celle de la pensee. La nature offre le beau architectonique et l'ame - le beau du mouvement. La grace, c'est la beaute de la forme sous l'influence de la liberte. La beaute architectonique est une donnee de la nature, la grace est un merite personnel. Les mouvements - les gestes, les attitudes - traduisent la spontaneite personnelle de l'homme. Ainsi, la grace est la mediation superieure de la dignite humaine. La morale ne doit pas etre, comme pour Kant, un effort volontaire et rationnel vers le devoir; elle nous demande de cultiver le sens moral immediat, qui conduit l'homme a la beaute morale. Si l'homme n'etait moral qu'en sacrificant sa nature spontanee, il serait a la fois sublime, heroique et malheureux; et si l'homme allait vers le bien spontanement en tant qui etre conscient il manquerait de dignite. Mais il y a un stade ou le devoir et le sentiment se reconcilient ou l'homme comprend la nature sans perdre le droit d'appartenir au monde intelligible; c'est le stade de la perfection esthetique Le beau depasse a la fois la suggestion egoiste et l'effort de la maitrise rationnelle.

Cette etude nous fait voir clairement comment Schiller corige et depasse Kant. Kant a raison de soutenir que l'approbation des sens ne garantit pas la moralite de nos actions; mais il n'a pas raison de rejeter l'association des sentiments aux lois principales de la raison. L'homme doit obeir avec plaisir a la raison. Le devoir moral et l'instinct naturel doivent se mettre d'accord chez l'homme qui merite ce nom. "Par cela seul que la nature a fait de lui un etre tout a la fois raisonnable et sensible, c'est-a' -dire un homme, elle lui a prescrit l'obligation de ne point separer ce qu'elle a uni, de ne point sacrifier plus pures manifestations de sa partie divine et de ne jamais fonder le triomphe de l'une sur l'oppression et la ruine de l'autre." (5)

La raison ne doit pas se faire de la sensibillite un enemi, mais bien un ami. "L'ennemi qui n'est que renverse peut se relever encore: mais l'ennemi reconcilie est veritablement vaincu." (6)

L'individu dans lequel se concretise l'harmonie entre la nature et la raison, entre le penchant naturel et le devoir est doue, selon Schiller, d'une belle ame (schone Seele) "On dit d'un homme que c' est une belle ame lorsque le sens moral a fini par s'assurer de toutes les affections, au point d'abandonner sans crainte, a la sensibilite la direction de la volonte et de ne jamais courir le risque de se trouver en desacord avec les decisions de celle-ci." (7) Pour l'homme chez lequel les sens sont en contradiction avec la raison, l'accomplissement du devoir moral est difficile parce qu'il doit se soumettre au controle de la loi morale; en revanche, pour l'homme a la belle ame, l'activite morale est le produit naturel de tout son etre.

On observe, deja, dans cette etude, que Schiller brise le cadre etroit du rigorisme kantien. Le philosophe de Konigsberg, malgre son effort d'harmoniser le monde des sens et le monde moral, a sacrifie la pulsion de la vie en faveur de la loi morale, en soutenant que la vertu ne peut plus etre vertu lorsqu'elle se realise par un penchant naturel.

La maniere de resoudre la question de la relation entre la necessite et la liberte, le sensible et l'intelligible, fait la difference radicale entre la conception de Schiller et celle de Kant. Le philosophe de Konigsberg a pose la question de la relation entre la theorie, l'ethique et l'esthetique, mais il l'a laissee en suspens a cause de son rigorisme; Schiller a reussi a harmoniser, grace a son genie artistique, les trois facultes de l'esprit et a offrir une image de l'homme total. Kant n'a pas reussi a les concilier parce que, chez lui, ces facultes representaient plutot des aspects statiques, rigides. En revanche, chez Schiller, elles deviennent des entites dynamiques, dialectiques, qui arrivent finalement a se combiner et a cristalliser dans une harmonie superieure.

Grace a la facon dynamique d'aborder et de penser la relation entre les trois formes essentielles de l'esprit "on a soutenu que l'esthetique de Schiller ne derivait pas de celle de Kant, comme on le croit d'habitude, mais du courant pandynamique, qui, de Leibniz, en passant par Creuzens, Ploucket et Reimarus, s'est intensifie en Allemagne jusqu'a Herder, qui a concu une nature completement animee" (8) Nul doute que l'esprit dynamique, vif; animiste soit definitoire pour la conception de Schiller, ce qui ouvre la perspective de l'idee de grande valeur et profondeur de l'homme total, par laquelle sa creation, bien que developpee sous l'infiuence de la philosophie critique, represente un phenomene spirituel specifique, independent.

A propos de l'originalite de la position de Schiller et de sa valeur theorique, explicative, Hegel constatait: "contre l'infinite abstraite de la pensee, contre le devoir envers le devoir et contre l'intellect depourvu de forme - intellect qui concoit la nature et la realite, les sens et le sentiment uniquement comme un barriere, comme un ennemi,- en se considerant oppose a ceux-ci-, le sens artistique d'un esprit profond et en meme temps philosophique a exige et a exprime le premier la totalite et la conciliation, et cela avant qu'elles soient recunnues et imposees par la philosophie de sa propre position. Ii faut reconnaitre le grand merite de Schiller d'avoir brise la subjectivite et la nature abstraite de la pensee kantienne et d'avoir ose, au-dessus d'elles, tenter de saisir par la pensee l'unite et la conciliation comme elements constitutifs de la verite et d'essayer de realiser artistiquement cette conception." (9)

Le sommet de la reflexion philosophique schillerienne est represente par Brife uber die asthetische Erziehung der Menschen, ou, a l'esthetique subjective kantienne, caracterisee par le fait que le beau est rapporte a la raison theorique, c'est-a-dire au jugement, s'oppose l'idee du beau rapporte a la raison pratique, liee a l'action, a la nature, au monde reel, a l'histoire. Si pour le moraliste Kant le monde sensible doit etre supprime, pour l'artiste Schiller celui-ci represente le support meme de la creation artistique. Par consequent, nier la sensibilite c'est nier l'artiste, l'homme comme individu, la personne, la liberte. Puisqu'il poursuivait la conciliation du sensible et de l'intelligible, de la necessite et de la liberte, Schiller etait insatisfait par toute solution qui sacriflait l'un des principes a l'autre. Le fondement de la conciliation des deux principes c'est l'idee kantienne de la liberte, conformement a laquelle l'homme doit determiner ses actions soi-meme.

Cette maniere de poser la question prouve que l'idee fondamentale qui preoccupait Schiller etait de sauver les traits humains, releves par l'unite entre l'aspect rationnel, intelligible et l'aspect sensible, naturel. Le rationnel represente le cote general et le sensible - le cote individuel de l'homme. Pour sauver ce qui est propre a' l'homme il ne faut pas sacrifier l'individuel ~ au general. L'Etat ou' l'individualite serait sacrifiee, serait depourvu de ses sources creatrices. La question n'est pas de sousestimer, de minimaliser le naturel, donc l'individualite, mais d'identifier la voie par laquelle on pourrait l'elever au niveau de la moralite.

La mission d'instaurer un Etat de la raison par une libre decision de l'humanite n'est pas, selon Schiller, le fruit d'une revolution, mais celui de l'education et surtout de l'education esthetique. Le changement social authentique ne sera donc pas produit par le dynamisme des luttes sociales, mais par une reflexion de l'humanite sur elle-meme. Il affirme donc: "En un mot, il n'est pas d'autre moyen de faire raisonable l'homme sensitif que de le faire d'abord esthetique" L'education esthetique envisage l'homme dans son entier; elle ne concerne pas uniquement le cote rationnel, mais les comprend tous les deux; elle remplace la discorde entre la nature et la raison par l'harmonie. La solution de la question sociale consiste donc, finalement, dans l'identification de la voie par laquelle s'instaure dans l'homme l'etat d'equilibre entre ses deux determinations fondamentales: entre sentir (Empfinden) et penser (Denken), entre la sensibilite, la diversite de la receptivite (Stoffirieb) et la stabilite, l'unite de la forme intellectuelle (Formtrieb). L'accord harmonieux entre ces deux tendances est institue lorsqu'elles sont 'egalement satisfaites, c'est-a -dire lorsqu'elles se limitent reciproquement moins par soumission que par composition.

La cause de cet accord reside dans une troisieme tendance, que Schiller appelle la tendance du jeu (Spieltrieb). Le penseur nous avertit qu'il ne faut pas avoir en vue "ces jeux en usage dans la vie reelle, qui d'ordinaire ne se rapportent qu'a des objets tres materiels, (10) '"mais bien l'activite par laquelle l'homme est a meme de garder le juste milieu entre l'activite materielle des sens, de la nature et l'activite formelle de l'intellect, de la moralite. Le jeu respecte certaines regles; mais celles-ci representent une creation libre. Elles ne sont fixees ni par la necessite'naturelle ni par la loi morale. Dans le jeu, l'activite et la passivite sont reunies. L'homme se sent echapper a l'influence de la nature sensible et en meme temps la nature sensible agit selon sa propre loi. Dans le jeu il se determine librement, il agit par lui-meme, il est oriente par son penchant vers la forme et, en meme temps, l'instinct naturel est satisfait. Dans l'etat de jeu, dont la creation artistique est la manifestation exemplaire, les impressions sensibles sont transfigurees pour se presenter devant les besoins spirituels et la raison confere aux choses les aspects voulu par les sens. Par la creation artistique, on ne regle plus un rapport du determinant au determine, mais une sphere de determinations communes, que Schiller appelle la forme vive (Lebende Gestalt).

Le beau est vie, mais non dans le sens biologique, car la beaute ne s'etend pas a toute la vie biologique ni ne se limite a elle, car un marbre travaille par un artiste peut avoir une forme vive, et un homme, bien que vivant, peut ne pas etre une forme qui vit. (12)

La forme vivante exprimera la beaute, donc le jeu libre des facultes, la libre satisfaction de leur accord. Le beau est appele forme vivante parce qu'il offre une forme a la matiere et une realite a la forme. En tant qu'image vivante (als lebendes Bild), le beau reduit la raison a l'intuition, la loi au sentiment.

L'homme est apte pour la beaute parce qu'il est apte pour le jeu et c'est par celui-ci qu'il est capable de satisfaire son aspiration a la plenitude "Une fois pour toutes, l'homme ne joue que la ou il est homme dans le pleine signification du mot, et il n'est homme complet que la ou il joue." (13)

Dans le libre jeu des forces, l'homme se manifeste dans toute son integrite et totalite, ayant la faculte de prendre des decisions propres, faculte qui n'est pas realisee tant que l'etat esthetique ne subsiste pas. "Tant que l'homme, dans son premier etat physique, se borne a recevoir passivement les impressions du monde materiel, a sentir, il est encore completement identifie avec lui, et, precisement parce qu'il n'est encore que monde, ii n'y a pas encore de monde pour lui. C'est seulement lorsque, dans son etat esthetique, il le pose hors de lui ou le contemple, que sa personalite se distingue de l'univers et un monde lui apparait parce qu'il a cesse de ne faire qu'un avec lui." (14)

Le sens du beau conduit l'homme, d'une part, du monde des sens au monde des idees, du monde materiel au monde ideal et, d'autre part, du monde ideal au monde materiel, de la raison aux sens. Autrement dit, la culture esthetique libere l'homme de l'esclavage des sens, ainsi que du fardeau des lois moralles. Elle confere a toutes les fonctions de l'homme la meme possibilite de developpement par le fait meme de n'en favoriser aucune.

Persuade que les methodes historiques et rationalistes sont les seules valables pour l'authentique comprehension de l'homme, Schiller pensait que l'experience privilegiee que celui-ci a a sa disposition pour se decouvrir et s'affirmer soi-meme c'est la creation artistique, un fait qui releve de l'ordre historique et humain.

En pactisant avec le siecle, avec l'histore, le penseur allemand adherait totalement a la formule du Faust de Goethe: "Verweile doch!" (Arrete-toi, instant!), parce qu'il parlait encore du point de vue de l'homme moderne, qui croyait encore dans le privilege d'un pari essentiel. Schi1ler n'a pas compris, et il ne le pouvait pas a son epoque, le fait que la creativite dans le plan historico-humain deborde le cadre etroit de l'histoire.

'Il est arrive a une limite, propre a lui ainsi qu'a l'epoque ou il a vecu, ecrivait Jung, qu'il lui a ete impossible de depasser parce qu'il a rencontre partout~L'homme le plus laid~invisible, dont la decouverte allait etre reservee a nos temps et a Nietzsche." Les solutions offertes par quelques penseurs contemporains (C.G. Jung, M. Eliade, H. Corbin, G. Durand, etc.) aux problemes de la connaissance et de la realisation de l'homme sont placees hors de l'histoire et meme contre elle. Ces penseurs, dont les adeptes sont de plus en plus nombreux, croient que la connaissance humaines doivent ceder le pas a la reconnaissance d'une verite derniere concretisee dans les mythes et les archetypes ou l'homme, pour devenir ce qu'il est, a pris son point de depart.

En portant la marque indelebile de son temps, la conception de Schiller sur la realisation humaine restera toujours au centre des debats sur l'homme, grace a sa comprehension profonde et aigue des contradictions qui marquent l'homme moderne et contemporain, ainsi que par ses considerations pertinentes sur les conditions d'etre de l'homme total, concret, synthese des diverses determinations. Plus encore, nous croyons pouvoir conclure qu'aujourd'hui, lorsqu'il semble que les conditions sont creees - dans le plan de la culture et de la civilisation, a l'echelle locale et universelle, pour que les determinations duelles de l'homme, la necessite et la liberte, l'exteriorite et l'interiorite, le sensible et l'intelligible, s'harmonisent, lorsqu'on peut donc aspirer a vivre en resonance avec les exigences du Grand Temps~ originaire, lorsque l'evolution peut devenir auto-evolution, l'histoire - trans-histoire, les idees philosophiques de Schiller, d'une grande lucidite et profondeur, concernant les traits specifiques et le destin de l'homme, constituent un repere plein d'espoir.

Notes

(1) Benedetto Croce, Estetica, Ed. Univers, Bucureti, 1970, pp.349-350.

(2) Fr. Schiller, Lettres sur l 'education esthetique de 1 'homme, in Oeuvres, vol VIII, Esthetique de Schiller, Librairie Hachette, 1862, pp.198-199.

(3) ldem, p.203

(4) ldem, pp.203-204

(5) Fr. Schiller, De la grace et de la dignite, dans op. cit., p.87

(6) lbid.

(7) ldem, pp.90-91

(8) Benedetto Croce, op. cit., p. 347

(9) G.W.F. Hegel, Prelegeri de estetic, vol I, Ed. Academiei Romane, Bucureşti, 1966, p.66

(10) Fr. Schiller, Lettres sur l'education esthetique de l'homme, dans op. cit., p.274

(11) ldem, p. 244

(12) ldem, pp.241-242

(13) ldem, p.245

(14) ldem, p.285

(15) C. G. Jung, Tipuri psihologice, Ed. Humanitas, Bucureşti, 1997, p.141